RCR mécanique vs manuelle : Au-delà de la controverse, une réflexion sur la qualité des compressions thoraciques

Mechanical-cardiopulmonary-resuscitation-mCPR-devices-From-left-to-right-Life-Stat

La réanimation cardiorespiratoire (RCR) de haute qualité reste la pierre angulaire de la prise en charge de l’arrêt cardiaque. Malgré des décennies d’amélioration des techniques et des protocoles, la survie après un arrêt cardiaque extra-hospitalier (ACEH) demeure faible, variant de 5% à 50% selon les études et les contextes. En Amérique du Nord, l’incidence des ACEH traités par les services médicaux d’urgence est estimée à 52.1 cas pour 100,000 personnes-années [1]. Plus préoccupant encore, plus de la moitié des survivants présentent des séquelles neurologiques de gravité variable [2].

 

L’American Heart Association (AHA) et le European Resuscitation Council (ERC) soulignent l’importance cruciale de trois facteurs pour améliorer la survie :

– Une RCR de haute qualité avec des compressions thoraciques minimalement interrompues

– Une défibrillation précoce

– L’hypothermie thérapeutique post-arrêt cardiaque

 

 La RCR manuelle et ses limites : Une réalité alarmante

 La fatigue des intervenants : Un problème sous-estimé

Les données récentes sont alarmantes concernant la qualité réelle de la RCR manuelle. L’étude phare d’Abella et al.[3] a révélé que :

– 36.9% des compressions thoraciques sont effectuées à un rythme inférieur à 80/minute

– 21.7% sont réalisées à moins de 70/minute

– La performance se dégrade significativement après seulement 1-2 minutes de RCR

Plus inquiétant encore, les travaux de Hightower et al.[4] démontrent une dégradation rapide de la qualité des compressions :

– 92% de compressions correctes durant la première minute

– 67.1% durant la deuxième minute

– 39.2% durant la troisième minute

– Seulement 18% après 5 minutes

 Les interruptions de la RCR : Un impact majeur sur la survie

L’étude de Wik et al.[5] a mis en évidence que lors d’ACEH :

– Les compressions thoraciques sont interrompues en moyenne 48% du temps

– Ces interruptions surviennent principalement lors :

  * Des analyses du rythme

  * Des tentatives de défibrillation

  * Des changements d’intervenants

  * De la mise en place des voies aériennes

 La qualité des compressions : Des standards rarement atteints

Les recommandations actuelles préconisent :

– Un rythme de 100-120 compressions/minute

– Une profondeur de 5-6 cm

– Une décompression thoracique complète

– Une minimisation des interruptions

Pourtant, une étude observationnelle incluant 67 arrêts cardiaques intra-hospitaliers [6] révèle que :

– Le rythme est inférieur à 90/minute dans 27% des cas

– La profondeur est insuffisante dans 37% des cas

– Le temps sans compression (“no-flow time”) représente en moyenne 24% de la durée totale de réanimation

 L’émergence des dispositifs mécaniques : Une solution potentielle

Face à ces limitations, deux technologies principales ont émergé :

 Les dispositifs à piston

– Exemple : LUCAS (Lund University Cardiac Assist System)

– Fonctionnement : compression/décompression active du sternum

– Rythme constant de 100/minute

– Profondeur standardisée

 Les bandes de compression

– Exemple : AutoPulse

– Fonctionnement : compression circonférentielle du thorax

– Distribution de la force sur une plus grande surface

– Réduction théorique du risque de lésions costales

Ces dispositifs présentent plusieurs avantages théoriques :

– Maintien d’un rythme et d’une profondeur constants

– Absence de fatigue

– Libération du personnel pour d’autres tâches

– Sécurité accrue pendant le transport

 Les données probantes : Des résultats contrastés

 Études animales et physiologiques

Les études sur modèle animal montrent des résultats encourageants :

– Amélioration du débit sanguin cérébral et coronaire

– Augmentation de la pression de perfusion coronaire

– Meilleure survie dans les modèles de fibrillation ventriculaire prolongée

 Études cliniques randomisées

L’étude ASPIRE [7], incluant 767 patients, a montré :

– Pas de différence de survie à 4 heures (28.5% vs 29.5%)

– Une tendance à une moins bonne survie hospitalière avec l’AutoPulse (5.8% vs 9.9%)

– Des résultats neurologiques moins favorables (3.1% vs 7.5% de bonne récupération)

La méta-analyse de Liu et al.[8] incluant 8501 patients n’a pas montré de différence significative pour :

– Le retour à une circulation spontanée (33.3% vs 33.0%)

– La survie à l’admission (22.7% vs 24.3%)

– La survie à la sortie de l’hôpital (8.6% vs 10.7%)

– La survie à 30 jours (7.5% vs 8.5%)

 Applications pratiques aux urgences : Optimiser la RCR en contexte hospitalier

 Le paradoxe de la RCR mécanique

Bien que les études ne démontrent pas de supériorité claire des dispositifs mécaniques, plusieurs situations cliniques peuvent justifier leur utilisation :

      1. Personnel limité

En période nocturne ou dans les petites structures, les études montrent que :

– Le ratio soignant/patient peut descendre jusqu’à 1:4

– La qualité de la RCR diminue significativement après 2 minutes

– Les interruptions sont plus fréquentes lors des changements d’intervenants

      1. RCR prolongée

Les données récentes indiquent que :

– 35% des arrêts cardiaques nécessitent plus de 30 minutes de RCR

– La fatigue des intervenants devient critique après 10 minutes

– La qualité des compressions chute de 90% à moins de 20% sur cette période

 Optimisation de la RCR manuelle

 Formation continue

Les études démontrent que :

– La performance diminue de 40% six mois après la formation initiale

– L’utilisation de feedback en temps réel améliore de 25% la qualité des compressions

– Les sessions de simulation régulières augmentent de 30% le taux de ROSC

 Stratégies organisationnelles

Recommandations basées sur les données probantes :

– Rotation des intervenants toutes les 2 minutes

– Utilisation de minuteurs visibles

– Désignation d’un leader chargé de surveiller la qualité des compressions

 Intégration des dispositifs mécaniques : Une approche pragmatique

 Indications préférentielles

      1. Situations de transport

– Réduction de 60% des interruptions pendant les déplacements

– Amélioration de la sécurité des soignants

– Maintien d’une profondeur constante malgré les mouvements

      1. Procédures simultanées

– Coronarographie

– Mise en place d’ECMO

– Thrombolyse

 Protocole d’implémentation

Les données suggèrent que le succès dépend de :

– Formation initiale intensive (minimum 4 heures)

– Pratique régulière (mensuelle)

– Temps de mise en place < 20 secondes

– Intégration dans les algorithmes existants

 Aspects économiques et organisationnels

 Analyse coût-efficacité

Données nord-américaines récentes :

– Coût moyen par dispositif : 15,000-20,000$

– Durée de vie : 5-7 ans

– Coût par utilisation : environ 200$

– Économies potentielles en personnel : 1.5 ETP par arrêt cardiaque prolongé

 Impact sur l’organisation des soins

Avantages organisationnels documentés :

– Réduction de 40% du nombre d’intervenants nécessaires

– Diminution de 25% du stress post-intervention

– Amélioration de 35% de la documentation de l’intervention

 Recommandations pratiques pour les services d’urgence

 Critères de choix entre RCR manuelle et mécanique

 Favoriser la RCR mécanique si :

– Personnel limité (<4 intervenants)

– Transport nécessaire

– Procédure interventionnelle prévue

– Durée prévisible >20 minutes

 Maintenir la RCR manuelle si :

– Équipe complète disponible

– Formation récente

– Feedback en temps réel disponible

– Durée prévisible courte (<10 minutes)

 Monitoring de la qualité

Indicateurs clés à surveiller :

– Fraction de compression (objectif >80%)

– Profondeur moyenne (5-6 cm)

– Rythme (100-120/min)

– Délai de mise en place du dispositif (<30 sec)

 Conclusion

La controverse entre RCR manuelle et mécanique reflète la complexité de la réanimation moderne. Les données actuelles suggèrent que la question n’est pas tant de choisir entre les deux méthodes que de savoir quand et comment utiliser chacune d’elles de manière optimale.

Les points clés à retenir :

    1. La RCR manuelle de qualité reste le gold standard mais est rarement maintenue dans le temps
    2. Les dispositifs mécaniques offrent une alternative fiable dans certaines situations spécifiques
    3. La formation continue et le monitoring de la qualité sont essentiels quelle que soit la méthode choisie

 

 

 

Références :

  1. Nichol G, et al. Regional variation in out-of-hospital cardiac arrest incidence and outcome. JAMA 2008
  2. Herlitz J, et al. Prognosis among survivors of prehospital cardiac arrest. Ann Emerg Med 1995
  3. Abella BS, et al. Chest compression rates during cardiopulmonary resuscitation are suboptimal. Circulation 2005
  4. Hightower D, et al. Decay in quality of closed-chest compressions over time. Ann Emerg Med 1995
  5. Wik L, et al. Quality of cardiopulmonary resuscitation during out-of-hospital cardiac arrest. JAMA 2005
  6. Abella BS, et al. Quality of cardiopulmonary resuscitation during in-hospital cardiac arrest. JAMA 2005
  7. Hallstrom A, et al. Manual chest compression vs use of an automated chest compression device. JAMA 2006
  8. Liu M, et al. Mechanical chest compression with LUCAS device does not improve clinical outcome. Medicine 2019

 

  1. Gates S, et al. Mechanical chest compression for out of hospital cardiac arrest. Resuscitation 2015
  2. Ong ME, et al. Cardiopulmonary resuscitation interruptions with use of a load-distributing band device. Ann Emerg Med 2010
  3. Perkins GD, et al. Mechanical versus manual chest compression for out-of-hospital cardiac arrest. Lancet 2015
  4. Rubertsson S, et al. Mechanical chest compressions and simultaneous defibrillation vs conventional CPR. JAMA 2014
  5. Westfall M, et al. Mechanical versus manual chest compressions in out-of-hospital cardiac arrest: a meta-analysis. Crit Care Med 2013
Facebook
Twitter
LinkedIn
Pinterest