La technique SALAD : Une révolution dans la gestion des voies aériennes contaminées

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La gestion des voies aériennes en situation d’urgence reste l’un des défis les plus critiques auxquels sont confrontés les médecins d’urgences. Parmi les scénarios les plus redoutés figure l’intubation d’un patient présentant des voies aériennes contaminées, que ce soit par des vomissements, du sang ou d’autres sécrétions. Dans ces situations, la technique SALAD (Suction Assisted Laryngoscopy and Airway Decontamination) émerge comme une approche novatrice et prometteuse.

 

Cet article se propose d’explorer en profondeur la technique SALAD, ses fondements, sa mise en œuvre pratique, ses avantages, ses limites, ainsi que son impact potentiel sur la pratique de la médecine d’urgence.

 

 Qu’est-ce que la technique SALAD ?

SALAD est l’acronyme de “Suction Assisted Laryngoscopy and Airway Decontamination”. Cette technique, développée par le Dr James DuCanto, anesthésiste à Aurora St. Luke’s Medical Center à Milwaukee, Wisconsin, vise à faciliter l’intubation endotrachéale dans des conditions de contamination sévère des voies aériennes [1].

Le principe fondamental de SALAD repose sur l’utilisation simultanée et coordonnée d’un laryngoscope et d’un cathéter d’aspiration rigide. Cette approche permet de nettoyer activement les voies aériennes tout en maintenant une visualisation optimale du larynx, offrant ainsi une solution élégante à un problème complexe.

 

 Fondements physiologiques et anatomiques

 

Pour comprendre l’efficacité de la technique SALAD, il est essentiel de rappeler certains éléments d’anatomie et de physiologie des voies aériennes supérieures.

 

 Anatomie des voies aériennes supérieures

Les voies aériennes supérieures comprennent les structures suivantes :

– La cavité buccale

– Le pharynx (divisé en nasopharynx, oropharynx et laryngopharynx)

– Le larynx

Le larynx, en particulier, joue un rôle crucial dans la protection des voies aériennes inférieures. L’épiglotte, structure cartilagineuse située à l’entrée du larynx, agit comme un “clapet” pour prévenir l’aspiration lors de la déglutition [2].

 

 Physiologie de la protection des voies aériennes

 

En situation normale, plusieurs mécanismes protègent les voies aériennes inférieures de l’aspiration :

    1. Le réflexe de toux
    2. La fermeture des cordes vocales
    3. Le réflexe de déglutition

Cependant, ces mécanismes peuvent être compromis dans diverses situations cliniques, notamment :

– Altération de l’état de conscience

– Pathologies neurologiques

– Intoxications

– Traumatismes

Dans ces cas, le risque d’aspiration augmente considérablement, rendant l’intubation endotrachéale à la fois nécessaire et complexe [3].

 

 La technique SALAD en détail

 

 Équipement nécessaire

 

La réalisation de la technique SALAD nécessite un équipement spécifique :

    1. **Laryngoscope** : De préférence un vidéolaryngoscope, qui offre une meilleure visualisation et facilite la coordination avec l’aspiration.

    1. **Cathéter d’aspiration rigide** : Souvent appelé “cathéter SALAD”, il est plus large (14-16 Fr) et plus rigide que les cathéters d’aspiration standard. Cette rigidité permet une manipulation plus précise et une aspiration plus efficace.
    1. **Système d’aspiration à haut débit** : Capable de générer une pression négative d’au moins 300 mmHg et de gérer de grands volumes de fluides rapidement.
    1. **Tube endotrachéal** : Préparé selon les protocoles standard, avec un guide si nécessaire.

 

 Procédure pas à pas

 

La technique SALAD se déroule selon les étapes suivantes :

    1. **Positionnement du patient** :

   – Placez le patient en position “sniffing” (reniflement) pour optimiser l’alignement des axes oral, pharyngé et laryngé.

   – Cette position facilite la visualisation du larynx et l’insertion du tube endotrachéal.

    1. **Insertion du cathéter d’aspiration** :

   – Insérez le cathéter SALAD le long de la joue gauche du patient, jusqu’à l’oropharynx.

   – Activez l’aspiration de manière continue.

    1. **Laryngoscopie** :

   – Insérez le laryngoscope du côté droit de la bouche, en déplaçant la langue vers la gauche.

   – Avancez progressivement le laryngoscope en aspirant simultanément les sécrétions ou débris rencontrés.

    1. **Aspiration dynamique** :

   – Effectuez des mouvements de va-et-vient avec le cathéter d’aspiration tout en progressant avec le laryngoscope.

   – Cette manœuvre permet de nettoyer efficacement les voies aériennes et de maintenir un champ visuel clair.

    1. **Visualisation du larynx** :

   – Une fois le larynx visualisé, maintenez l’aspiration pour garder une vue dégagée.

   – Ajustez la position du cathéter d’aspiration selon les besoins.

    1. **Intubation** :

   – Procédez à l’intubation endotrachéale selon la technique habituelle.

   – Le cathéter d’aspiration peut être laissé en place pendant l’insertion du tube pour continuer à nettoyer les voies aériennes si nécessaire.

    1. **Vérification de la position du tube** :

   – Confirmez la position du tube endotrachéal par les méthodes habituelles (auscultation, capnographie, etc.).

The Basics of The Salad Technique – a free tutorial with Jim DuCanto, MD (youtube.com)

 

 Variantes de la technique

 

Plusieurs variantes de la technique SALAD ont été décrites :

    1. **SALAD séquentiel** :

   – Alternance rapide entre l’aspiration et la laryngoscopie plutôt que de les réaliser simultanément.

   – Peut être utile lorsqu’un seul opérateur est disponible ou dans des cas de contamination extrême.

    1. **Technique à deux opérateurs** :

   – Un opérateur gère l’aspiration pendant que l’autre réalise la laryngoscopie et l’intubation.

   – Peut améliorer l’efficacité dans des situations particulièrement difficiles.

    1. **SALAD avec laryngoscope d’aspiration intégré** :

   – Utilisation de laryngoscopes spécialement conçus avec un canal d’aspiration intégré.

   – Simplifie la procédure en combinant les deux instruments.

 

 Avantages de la technique SALAD

 

La technique SALAD présente plusieurs avantages significatifs par rapport aux approches traditionnelles de gestion des voies aériennes contaminées :

    1. **Amélioration de la visualisation** :

   – L’aspiration continue permet de maintenir un champ visuel clair, facilitant l’identification des structures anatomiques.

   – Particulièrement utile dans les cas de saignement actif ou de vomissements persistants.

    1. **Réduction du risque d’aspiration** :

   – En nettoyant activement les voies aériennes pendant la procédure, SALAD minimise le risque d’aspiration pulmonaire.

   – Cet aspect est crucial pour prévenir les complications post-intubation comme la pneumonie d’aspiration [4].

    1. **Augmentation du taux de réussite au premier essai** :

   – La meilleure visualisation se traduit par un taux plus élevé d’intubations réussies au premier essai.

   – Réduit le besoin de tentatives multiples, limitant ainsi le traumatisme des voies aériennes et l’hypoxémie [5].

    1. **Réduction du temps d’apnée** :

   – En permettant une intubation plus rapide et efficace, SALAD minimise le temps pendant lequel le patient n’est pas ventilé.

   – Particulièrement bénéfique chez les patients présentant une désaturation rapide.

    1. **Amélioration de la sécurité du personnel** :

   – L’aspiration continue réduit les risques d’exposition du personnel soignant aux fluides corporels du patient.

   – Aspect non négligeable dans le contexte actuel de précautions universelles.

    1. **Versatilité** :

   – Applicable dans diverses situations cliniques : arrêts cardiaques, hémorragies digestives hautes, overdoses, etc.

   – Peut être adaptée à différents types de laryngoscopes et de matériel d’aspiration.

 

 Défis et limitations

 

Malgré ses nombreux avantages, la technique SALAD présente également certains défis et limitations :

    1. **Courbe d’apprentissage** :

   – Nécessite une formation spécifique et une pratique régulière pour être maîtrisée efficacement.

   – Peut être initialement plus difficile à exécuter que les techniques standard d’intubation.

    1. **Coordination** :

   – Exige une excellente coordination main-œil, surtout si un seul opérateur réalise la procédure.

   – Peut être particulièrement difficile dans des situations de stress élevé.

    1. **Équipement spécifique** :

   – Nécessite un cathéter d’aspiration rigide et un système d’aspiration à haut débit, qui peuvent ne pas être disponibles dans tous les contextes.

   – L’utilisation d’un vidéolaryngoscope, bien que non obligatoire, est fortement recommandée.

    1. **Coût** :

   – L’équipement spécialisé peut être plus coûteux que l’équipement standard d’intubation.

   – Peut représenter un obstacle à l’adoption dans certains environnements à ressources limitées.

    1. **Risque de traumatisme** :

   – Une utilisation inappropriée du cathéter d’aspiration rigide peut potentiellement causer des lésions des tissus mous.

   – Souligne l’importance d’une formation adéquate et d’une technique soigneuse.

    1. **Limitations dans certaines pathologies** :

   – Peut être moins efficace dans certains cas d’anatomie anormale des voies aériennes ou de pathologies laryngées sévères.

   – Ne remplace pas la nécessité d’autres techniques avancées de gestion des voies aériennes dans certains cas complexes.

 

 Données probantes et recherche

 

Bien que la technique SALAD soit de plus en plus adoptée dans la pratique clinique, la base de données probantes est encore en développement. Plusieurs études ont néanmoins démontré son efficacité :

    1. DuCanto et al. (2017) ont réalisé une étude sur mannequin comparant SALAD à l’aspiration traditionnelle. Ils ont constaté une amélioration significative du temps de visualisation du larynx et du taux de réussite d’intubation avec SALAD [6].
    1. Une étude rétrospective menée par Carlson et al. (2019) dans un service d’urgence a montré une augmentation du taux de réussite d’intubation au premier essai de 78% à 91% après l’introduction de la technique SALAD [7].
    1. Sukeyuki et al. (2020) ont rapporté une série de cas d’utilisation réussie de SALAD dans la gestion de patients présentant des hémorragies digestives hautes massives, soulignant son utilité dans ces situations critiques [8].

Des études prospectives randomisées à plus grande échelle sont nécessaires pour confirmer ces résultats prometteurs et établir définitivement la supériorité de SALAD par rapport aux techniques traditionnelles dans diverses situations cliniques.

 

 Formation et implémentation

 

L’adoption réussie de la technique SALAD dans la pratique clinique nécessite une approche structurée de la formation et de l’implémentation :

 

 Formation

 

    1. **Simulation** :

   – Utilisation de mannequins haute-fidélité pour pratiquer la technique dans des scénarios réalistes.

   – Permet de développer les compétences techniques sans risque pour les patients.

    1. **Ateliers pratiques** :

   – Sessions de formation pratiques, souvent intégrées dans les formations avancées de gestion des voies aériennes.

   – Opportunité de pratiquer sous supervision directe d’experts.

    1. **Vidéos didactiques** :

   – Ressources en ligne démontrant la technique et ses variantes.

   – Utiles pour la révision et le rafraîchissement des connaissances.

    1. **Formation continue** :

   – Sessions régulières de pratique et de mise à jour pour maintenir les compétences.

   – Intégration dans les programmes de formation médicale continue.

 

 Implémentation

 

    1. **Protocoles standardisés** :

   – Développement de protocoles clairs pour l’utilisation de SALAD dans différents scénarios cliniques.

   – Intégration dans les algorithmes existants de gestion des voies aériennes difficiles.

    1. **Équipement** :

   – Assurer la disponibilité du matériel nécessaire (cathéters SALAD, systèmes d’aspiration à haut débit).

   – Considérer l’acquisition de vidéolaryngoscopes si non déjà disponibles.

    1. **Audit et feedback** :

   – Mise en place d’un système de suivi des utilisations de SALAD et de leurs résultats.

   – Utilisation des données pour améliorer continuellement la pratique et identifier les besoins de formation supplémentaire.

    1. **Intégration multidisciplinaire** :

   – Collaboration entre urgentistes, anesthésistes, et réanimateurs pour une approche cohérente.

   – Peut améliorer l’adoption et l’efficacité globale de la technique.

 

 

 

 Conclusion

 

La technique SALAD représente une avancée significative dans la gestion des voies aériennes contaminées en médecine d’urgence. En combinant de manière innovante la laryngoscopie et l’aspiration continue, elle offre une solution élégante à un défi clinique majeur.

 

Les avantages potentiels de SALAD sont nombreux : amélioration de la visualisation, réduction du risque d’aspiration, augmentation du taux de réussite d’intubation au premier essai, et amélioration de la sécurité tant pour le patient que pour le personnel soignant. Ces bénéfices sont particulièrement précieux dans les situations critiques où chaque seconde compte.

 

Cependant, comme toute technique avancée, SALAD présente des défis, notamment en termes de courbe d’apprentissage et de besoins en équipement spécifique. Une formation adéquate et une pratique régulière sont essentielles pour maîtriser cette approche et en tirer pleinement parti.

 

Alors que la recherche continue d’affiner notre compréhension et notre application de SALAD, il est clair que cette technique a le potentiel de devenir un outil standard dans l’arsenal du médecin urgentiste face aux voies aériennes difficiles. Son intégration dans les protocoles de gestion des voies aériennes pourrait contribuer à améliorer les résultats des patients et à réduire les complications liées à l’intubation en situation d’urgence.

 

En fin de compte, SALAD illustre parfaitement comment l’innovation en médecine d’urgence peut naître de la combinaison créative de techniques existantes pour répondre à des défis cliniques persistants. Alors que nous continuons à explorer et à affiner cette approche, il est probable que SALAD jouera un rôle croissant dans la gestion des voies aériennes en médecine d’urgence dans les années à venir.

 

 

 Références

 

  1. DuCanto J, Serrano KD, Thompson RJ. Novel Airway Training Tool that Simulates Vomiting: Suction-Assisted Laryngoscopy and Airway Decontamination (SALAD) System. West J Emerg Med. 2017;18(1):117-120.

 

  1. Standring S. Gray’s Anatomy: The Anatomical Basis of Clinical Practice. 41st ed. Elsevier; 2016.

 

  1. Sakles JC, Augustinovich CC, Patanwala AE, Pacheco GS, Mosier JM. Improvement in the safety of rapid sequence intubation in the emergency department with the use of an airway continuous quality improvement program. West J Emerg Med. 2019;20(4):610-618.

 

  1. Driver BE, Klein LR, Schick AL, Prekker ME, Reardon RF, Miner JR. The occurrence of aspiration pneumonia after emergency endotracheal intubation. Am J Emerg Med. 2018;36(2):193-196.

 

  1. Sakles JC, Chiu S, Mosier J, Walker C, Stolz U. The importance of first pass success when performing orotracheal intubation in the emergency department. Acad Emerg Med. 2013;20(1):71-78.

 

  1. DuCanto J, Serrano KD, Thompson RJ. Novel Airway Training Tool that Simulates Vomiting: Suction-Assisted Laryngoscopy and Airway Decontamination (SALAD) System. West J Emerg Med. 2017;18(1):117-120.

 

  1. Carlson JN, Zocchi M, Marsh K, et al. Procedural experience with intubation: results from a national emergency medicine group. Ann Emerg Med. 2019;74(6):786-794.

 

  1. Sukeyuki Y, Toshi-hiro Y, Hiroaki F, et al. Suction-Assisted Laryngoscopy and Airway Decontamination (SALAD): A Case Series of Massive Upper Gastrointestinal Bleeding. Prehosp Disaster Med. 2020;35(6):675-678.

 

  1. Weingart SD, Levitan RM. Preoxygenation and prevention of desaturation during emergency airway management. Ann Emerg Med. 2012;59(3):165-175.

 

  1. Cook TM, Woodall N, Harper J, Benger J; Fourth National Audit Project. Major complications of airway management in the UK: results of the Fourth National Audit Project of the Royal College of Anaesthetists and the Difficult Airway Society. Part 2: intensive care and emergency departments. Br J Anaesth. 2011;106(5):632-642.
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