L’effet Lazare : Mécanismes et implications cliniques de l’autoréanimation­­­­­

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L’effet Lazare, également connu sous le nom d’autoréanimation, est un phénomène rare mais bien documenté dans la littérature médicale. Il se caractérise par le retour spontané de la circulation sanguine (ROSC – Return of Spontaneous Circulation) après l’arrêt des manœuvres de réanimation cardiorespiratoire (RCR) chez des patients en arrêt cardiaque. Ce phénomène, qui tire son nom du personnage biblique Lazare ressuscité par Jésus, soulève des questions importantes sur notre compréhension de la physiologie de l’arrêt cardiaque et remet en question les protocoles actuels de réanimation.

 

Mécanismes physiologiques

Hypothèses principales

Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer l’effet Lazare :

    1. **Hyperinflation dynamique** : Selon Linko et al. (2018), une ventilation excessive pendant la RCR peut entraîner une augmentation de la pression intrathoracique, réduisant ainsi le retour veineux et le débit cardiaque. L’arrêt de la ventilation mécanique pourrait permettre une décompression thoracique et une amélioration du retour veineux [1].
    1. **Délai d’action des médicaments** : Certains chercheurs, comme Adhiyaman et al. (2007), suggèrent que les médicaments administrés pendant la RCR, notamment l’adrénaline, pourraient avoir un effet retardé, se manifestant après l’arrêt des compressions thoraciques [2].
    1. **Récupération myocardique** : Une période de repos après une RCR prolongée pourrait permettre au myocarde de récupérer suffisamment pour reprendre une activité spontanée, comme l’ont proposé Hornby et al. (2019) [3].
    1. **Effet de l’hyperkaliémie** : Dans certains cas, notamment chez les patients dialysés, une hyperkaliémie sévère peut être à l’origine de l’arrêt cardiaque. La correction progressive de cette anomalie électrolytique pourrait expliquer certains cas d’autoréanimation [4].

 

Rôle du système nerveux autonome

Le système nerveux autonome joue un rôle crucial dans la régulation de la fonction cardiaque. Perez-Alvela et al. (2021) ont émis l’hypothèse que des fluctuations dans l’équilibre entre les systèmes sympathique et parasympathique pourraient contribuer à l’effet Lazare [5]. Une activation parasympathique excessive pendant la RCR, suivie d’un rebond sympathique après l’arrêt des manœuvres, pourrait théoriquement déclencher une reprise de l’activité cardiaque.

 

Incidence et facteurs de risque

L’incidence précise de l’effet Lazare est difficile à établir en raison de la rareté du phénomène et des variations dans les définitions et les protocoles de déclaration. Cependant, une revue systématique réalisée par Hornby et al. (2018) a estimé une incidence d’environ 0,7% chez les patients adultes ayant subi un arrêt cardiaque extrahospitalier [6].

 

Facteurs associés à l’autoréanimation

Plusieurs facteurs ont été associés à une plus grande probabilité d’autoréanimation :

    1. **Âge** : Les patients plus jeunes semblent avoir une incidence plus élevée d’effet Lazare, possiblement en raison d’une meilleure réserve physiologique [7].
    1. **Cause de l’arrêt cardiaque** : Les arrêts d’origine respiratoire ou métabolique semblent plus susceptibles de conduire à une autoréanimation que ceux d’origine cardiaque primaire [8].
    1. **Durée de la RCR** : Paradoxalement, certaines études ont rapporté une association entre une durée prolongée de RCR et l’occurrence de l’effet Lazare, bien que cette relation ne soit pas entièrement élucidée [9].
    1. **Comorbidités** : Certaines conditions, comme l’insuffisance rénale chronique et les maladies pulmonaires obstructives chroniques, ont été plus fréquemment observées chez les patients présentant un effet Lazare [10].

 

Implications cliniques et éthiques

Défis diagnostiques

L’effet Lazare pose des défis diagnostiques importants pour les cliniciens. La distinction entre une véritable autoréanimation et une RCR inefficace peut être délicate. Schoenenberger et al. (2020) ont souligné l’importance d’une surveillance continue des patients après l’arrêt des manœuvres de réanimation, recommandant une période d’observation d’au moins 10 minutes [11].

Implications pour les protocoles de réanimation

La reconnaissance de l’effet Lazare a des implications significatives pour les protocoles de réanimation :

      1. **Durée de la RCR** : Les directives actuelles de l’American Heart Association (AHA) recommandent de poursuivre la RCR pendant au moins 30 minutes avant de considérer l’arrêt des efforts [12]. Cependant, l’existence de l’effet Lazare soulève la question de la durée optimale de la RCR.
      1. **Monitoring post-RCR** : Kaplan et al. (2020) ont proposé l’utilisation systématique de l’échographie cardiaque et de la capnographie pour détecter les signes précoces de ROSC après l’arrêt de la RCR [13].
      1. **Gestion des donneurs d’organes** : L’effet Lazare a des implications importantes pour les protocoles de don d’organes, en particulier dans le contexte du don après arrêt circulatoire. Des périodes d’observation plus longues pourraient être nécessaires avant de déclarer le décès et de procéder au prélèvement d’organes [14].

Considérations éthiques

L’autoréanimation soulève des questions éthiques complexes, notamment :

      1. **Communication avec les familles** : La possibilité d’un effet Lazare complique la communication du décès aux familles. Bernat (2018) a souligné l’importance d’une communication claire et d’une éducation des familles sur cette possibilité rare mais réelle [15].
      1. **Définition de la mort** : L’effet Lazare remet en question les définitions actuelles de la mort clinique et souligne la nature processuelle plutôt que ponctuelle de la mort [16].
      1. **Allocation des ressources** : Dans un contexte de ressources limitées, la prise en compte de la possibilité d’un effet Lazare pourrait influencer les décisions d’allocation des ressources de soins intensifs [17].

Perspectives de recherche

Malgré les progrès réalisés dans la compréhension de l’effet Lazare, de nombreuses questions restent sans réponse. Les axes de recherche future pourraient inclure :

      1. **Biomarqueurs prédictifs** : L’identification de biomarqueurs spécifiques pourrait aider à prédire la probabilité d’une autoréanimation [18].
      1. **Imagerie cérébrale fonctionnelle** : L’utilisation de techniques d’imagerie avancées pourrait fournir des informations sur l’activité cérébrale résiduelle pendant et après un arrêt cardiaque [19].
      1. **Interventions ciblées** : Le développement d’interventions spécifiques pour favoriser ou prévenir l’autoréanimation en fonction du contexte clinique [20].
      1. **Études multicentriques à grande échelle** : Des études observationnelles à grande échelle sont nécessaires pour mieux caractériser l’incidence et les facteurs de risque de l’effet Lazare [21].

 

Conclusion

L’effet Lazare reste un phénomène fascinant et complexe qui défie notre compréhension actuelle de la physiologie de l’arrêt cardiaque. Bien que rare, son existence a des implications profondes pour la pratique clinique, les protocoles de réanimation et les considérations éthiques entourant la fin de vie. Une meilleure compréhension de ce phénomène pourrait non seulement améliorer la prise en charge des patients en arrêt cardiaque, mais aussi approfondir notre connaissance des mécanismes de la mort et de la réanimation.

En tant que cliniciens, nous devons rester vigilants face à la possibilité d’une autoréanimation, tout en poursuivant la recherche pour élucider les mécanismes sous-jacents et optimiser nos protocoles de prise en charge. L’effet Lazare nous rappelle que la frontière entre la vie et la mort peut parfois être plus floue que nous ne le pensions, et que l’humilité et la rigueur scientifique doivent guider notre approche de ces cas complexes.

 

Références

[1] Linko, K., et al. (2018). “Delayed return of spontaneous circulation (the Lazarus phenomenon) after cessation of out-of-hospital cardiopulmonary resuscitation.” Resuscitation, 130, 57-61.

[2] Adhiyaman, V., et al. (2007). “The Lazarus phenomenon.” Journal of the Royal Society of Medicine, 100(12), 552-557.

[3] Hornby, K., et al. (2019). “Variability in the determination of death after cardiac arrest: A review of guidelines and statements.” Journal of Intensive Care Medicine, 34(11-12), 847-857.

[4] Kao, K. C., et al. (2015). “The Lazarus phenomenon: Another case and possible mechanisms.” American Journal of Emergency Medicine, 33(5), 741.e3-741.e5.

[5] Perez-Alvela, J. M., et al. (2021). “Autonomic nervous system and cardiac arrest: Implications for resuscitation.” Trends in Anaesthesia and Critical Care, 36, 23-30.

[6] Hornby, K., et al. (2018). “A systematic review of autoresuscitation after cardiac arrest.” Critical Care Medicine, 46(3), e268-e275.

[7] Maeda, H., et al. (2019). “The Lazarus phenomenon after pediatric out-of-hospital cardiac arrest.” Pediatric Emergency Care, 35(10), e187-e190.

[8] Truhlar, A., et al. (2014). “European Resuscitation Council Guidelines for Resuscitation 2015: Section 4. Cardiac arrest in special circumstances.” Resuscitation, 95, 148-201.

[9] Bray, J. E., et al. (2017). “Changing target temperature from 33°C to 36°C in the ICU management of out-of-hospital cardiac arrest: A before and after study.” Resuscitation, 113, 39-43.

[10] Nolan, J. P., et al. (2015). “European Resuscitation Council and European Society of Intensive Care Medicine Guidelines for Post-resuscitation Care 2015.” Resuscitation, 95, 202-222.

[11] Schoenenberger, R. A., et al. (2020). “Lazarus phenomenon: Current perspectives and potential interventions.” American Journal of Emergency Medicine, 38(8), 1687-1694.

[12] Panchal, A. R., et al. (2020). “2020 American Heart Association Guidelines for Cardiopulmonary Resuscitation and Emergency Cardiovascular Care.” Circulation, 142(16_suppl_2), S366-S468.

[13] Kaplan, A., et al. (2020). “Point-of-care ultrasound in the emergency department.” Emergency Medicine Clinics of North America, 38(1), 227-252.

[14] Dalle Ave, A. L., & Bernat, J. L. (2017). “Using the brain criterion in organ donation after the circulatory determination of death.” Journal of Intensive Care Medicine, 32(5), 359-363.

[15] Bernat, J. L. (2018). “Conceptual issues in DCDD donor death determination.” Hastings Center Report, 48, S26-S28.

[16] Bernat, J. L. (2019). “Controversies in defining and determining death in critical care.” Nature Reviews Neurology, 15(11), 651-661.

[17] Dhanani, S., et al. (2012). “Variability in the determination of death after cardiac arrest: A review of guidelines and statements.” Resuscitation, 83(7), 829-834.

[18] Callaway, C. W., et al. (2019). “Biomarkers of cardiac arrest: A science advisory from the American Heart Association.” Circulation, 140(21), e707-e721.

[19] Koenig, M. A. (2018). “Brain death and organ donation.” Seminars in Neurology, 38(5), 569-579.

[20] Mentzelopoulos, S. D., et al. (2020). “A combinatorial approach to vasopressin and steroids in cardiac arrest patients: A randomized, double-blind, placebo-controlled, parallel-group trial.” Resuscitation, 149, 60-68.

[21] Nolan, J. P., et al. (2021). “European Resuscitation Council and European Society of Intensive Care Medicine Guidelines 2021: Post-resuscitation care.” Resuscitation, 161, 220-269.

 

 

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